Immigration, votation du 9 février

Si l'on ne peut parler de stupéfaction tant le vote fut serré, une moitié des Suisses s'est levée avec la gueule de bois au lendemain de la votation pour le contrôle de l'immigration.

Ce vote qualifié d'historique fait et fera encore grand bruit dans les médias nationaux et internationaux. Le débat fut nourri durant près de six mois, je ne reviendrai donc pas sur les arguments largement développés mais je vais tenter d'analyser ce vote sous un angle peu abordé lors de la campagne.

 

LAT et densification du territoire

En tenant compte de ce précédent scrutin lors duquel les Suisses ont plébiscité le texte, à l'exception notoire du Valais, nous observons une certaine cohérence dans les choix. En permettant la densification des milieux urbains par un assouplissement des règles, les Suisses ont manifesté leur attachement à une certaine qualité de vie qui s'exprime ici par le respect de la nature et du paysage.

Les chiffres sont parlants. La Suisse c'est 44'000 km2, montagnes comprises. Si la tendance actuelle devait se confirmer, il faudrait construire une ville de la taille de Lucerne chaque année pour ne voir émerger qu'une agglomération sur le plateau, de Genève à St Gall, en l'espace d'à peine un siècle.

 

Croissance

Presque toutes les questions sur lesquelles nous devons nous prononcer ces temps sont en lien direct avec une certaine conception de la croissance. C'est la logique que suivent tous les dirigeants de ce monde qui promettent le plein emploi afin de permettre à tous de perpétuer le modèle de consommation sur lequel nous avons fondé toute l'économie.

Le discours des scientifiques sur le caractère épuisable des ressources et la dégénérescence de l'environnement est étouffé. La première concrétisation de leurs alarmes lors du protocole de Kyoto (1997) fut la ratification par 184 Etats d'un traité prometteur qui restera largement au stade des déclarations d'intention. La suite fut décevante, notamment lors du suivi de Buenos Aires puis de Bonn et dernièrement Copenhague qui a mis en évidence l'impuissance des Etats à respecter leurs engagements, voire à leur remise en question.

Les problèmes sont complexes. Les pays qui étaient considérés comme faisant partie du tiers monde se sont développés spectaculairement et aspirent au confort dont profitent les occidentaux depuis longtemps. Nous sommes mal placés pour leur faire la leçon. Et pourtant, notre expérience de la prospérité nous permet aujourd'hui de mettre l'accent sur une certaine forme de qualité de vie plutôt que sur la quantité de biens accessibles. Le mieux devient l'ennemi du bien. La surconsommation de biens superflus devient une charge qui favorise la prise de conscience et la recherche de sens.

 

Globalisation

Le monde est devenu un village. Les races, les cultures et les religions se mélangent. L'information est accessible immédiatement à n'importe quel endroit de la planète. Cette globalisation engendre de l'anxiété et favorise un certain repli identitaire. Les mouvements conservateurs et nationalistes surfent sur ces craintes et n'hésitent pas à récupérer le vote des Suisses exacerbant ainsi les fronts idéologiques. Universalistes contre xénophobes, ce combat réducteur ne tient évidemment pas compte des nombreux paramètres en cause, mais ces discours simplistes sont immédiatement accessibles à la masse et permettent aux politiques de se profiler sur ces aspects émotionnels sans entrer dans le vif du sujet.

 

Fin du travail

Il n'est pas bien difficile de comprendre pourquoi les projections, telles que celles de Jeremy Rifkin sur la fin du travail, prennent de plus en plus de sens. Non seulement la population mondiale est passée de 1 à 7 milliards en l'espace de deux siècles, mais la plupart des tâches ingrates sont aujourd'hui robotisées ou informatisées. La Migros n'a dorénavant plus besoin de caissières puiqu'elle offre la possibilité aux consommateurs de taguer leurs articles sans procéder au contrôle systématique des marchandises. Cette tendance va en s'amplifiant et pose dorénavant la question incontournable du partage du travail si nous voulons continuer à permettre au plus grand nombre de continuer à consommer les produits fabriqués ou transformés, qu'ils soient superflus ou de première nécessité.

 

Conséquences

Pas besoin d'être grand devin pour comprendre que la Communauté Européenne, ou plutôt sa Commission peu démocratique, sera obligée de réagir fermement pour éviter un embrasement au sein de ses membres. Mais l'exercice sera délicat car les peuples demandent des comptes à leurs représentants et jalousent notre démocratie directe dont les outils de référendum et d'initiative permettent  d'ancrer les décisions par une légitimité indiscutable. Une réaction trop forte consacrera la montée en force des "populistes" alors qu'un retour mou mettrait en péril la construction européenne. C'est la raison pour laquelle la première réaction mesurée fut d'attendre l'interprétation et la mise en oeuvre par le Conseil fédéral au travers des lois d'application.

Si ce scrutin a fait beaucoup de bruit, il ne faudra pas s'attendre à des changements fondamentaux. Comme pour tous les objets qui passent avec une si courte majorité, le gouvernement trouvera le moyen de faire semblant de respecter la volonté populaire comme il l'a fait récemment avec la loi sur le renvoi de criminels étrangers. Ici aussi, l'exercice est périlleux car à force de mépriser les décisions du souverain, le gouvernement perd en crédibitilé et les forces d'opposition grossissent.

 

Visibilité de la Suisse

N'en déplaise à ceux qui promeuvent l'adhésion, force est de constater que la Suisse ne disposerait que d'un strapontin dans l'union si ce petit pays devait rejoindre ce grand ensemble. Alors qu'aujourd'hui, par ce vote populaire, la visibilité est maximale et l'impact indéniable. Non seulement on nous envie ce pouvoir décisionnel, mais surtout nous suscitons des interrogations et des remises en question sur des problèmes universels. Il n'aura échappé à personne que les moyens mis à disposition par l'Economie, et par voie de conséquence par le politique qui lui est inféodé, étaient démesurés et ne défendent qu'un modèle de croissance débridée qui ne parle plus aux Suisses. Le résultat de ce scrutin n'est pas une victoire directe de l'UDC puisqu'elle ne représente que 30% de l'électorat. Nous assistons véritablement aux prémices d'un changement de paradigme, une réorientation des priorités vers une prospérité qualitative au détriment d'une croissance quantitative. En ce sens, le vote du 9 février contribuera à la construction d'une Europe plus adéquate, un ensemble de régions qui s'inspirerait du fédéralisme suisse.

Sans aucune prétention, juste en suivant son petit bonhomme de chemin, la Suisse participe à la création d'une Europe à laquelle elle adhérera pleinement et avec soulagement.

Vivement le jour où l'Europe entrera enfin dans la Suisse !

 

11 février 2014