Genève internationale et les multinationales

Nombreux sont ceux qui, à l'instar de la Déclaration de Berne (DB) dénoncent la prochaine bombe de la fiscalité des entreprises, plus particulièrement celles qui sont actives dans le négoce de matières premières.

 

Les vrais chiffres

Comme nous pouvons le vérifier dans l'article du 25 mars 2013 de la TDG, la valeur ajoutée directe des multinationales étrangères à Genève représente 22 % du PIB  et le 17 % des emplois du canton. La masse salariale versée par les multinationales se monte à 5,5 milliards ce qui représente 24 % de la masse salariale totale genevoise. Nous somme donc bien au dessus des chiffres articulés dans la presse qui faisaient état d'un emploi sur 10 dans ce secteur.

 

Rapport de la Confédération

Suite au pamphlet de la DB, "Swiss Trading SA", dénonçant les abus dans cette branche, trois départements fédéraux se sont attelés à un rapport visant à présenter et cadrer le secteur et anticiper ainsi une prochaine crise annoncée. La tâche est ardue et extrêmement délicate si l'on se réfère aux montants considérables que ce marché représente, tout particulièrement à Genève.

Ce rapport est évidemment critiqué à l'interne par les ONG pour sa frilosité, mais aussi par nos concurrents directs sur ces marchés qui surfent sur la vague de la crise du secret bancaire. La Suisse est une proie facile et ne dispose pour ainsi dire pas d'allié dans le concert des nations.

Les milieux bancaires actifs dans le financement du négoce tentent de dissocier les activités liées à l'extraction, qui sont directement mises en cause pour violation des droits de l'homme, de celles qui consistent à réguler l'offre et la demande entre les pays. Mais ils ne sont évidemment pas nos meilleurs ambassadeurs.

Le Conseil fédéral a retenu la leçon du secret bancaire et ne se placera plus en position de victime. Si un consensus international émerge, alors la Suisse l'appliquera.

 

Exode des multinationales, effet Minder ?

EconomieSuisse s'est pris une baffe suite à sa gestion lamentable de la votation sur les rémunérations abusives. Elle a d'ailleurs perdu passablement de crédibilité, non seulement auprès de la population mais aussi du parlement qui l'a écartée des prochains dossiers chauds sur la fiscalité et les diverses initiatives socialistes à venir au profit de l'USAM notamment.

Serait-ce en mauvais perdants que ses représentants peignent le diable sur la muraille en parlant des projets de délocalisation de certaines de ces entités si mobiles ? On pourrait le penser lorsque Cristina Gaggini, directrice pour la Suisse romande relativise les déclarations de son président en mettant en avant les nombreux atouts de notre place; l'accès à la main d'oeuvre qualifiée, la flexibilité du marché du travail, les facilités administratives et la concentration de concurrents.

A l'heure actuelle, les dispositions règlementaires, qui demandent encore à être harmonisées au niveau mondial, ne touchent que les entreprises cotées en Bourse. Il n'empêche que ces incertitudes juridiques ainsi que la pression de la CE pour l'harmonisation fiscale pèsent dans le choix des multinationales pour établir leurs sièges.

L'incertitude juridique provoque déjà une contraction de la demande. Malgré l'inventaire de PriceWaterhousesCoppers SA (PWC), mandaté par l'association vaudoise des banquiers (AVB), qui démontre l'inventivité de nombreux pays de la CE en matière fiscale, la pression  de l' Europe sur la Suisse se fait déjà sentir et ne fait que renforcer une tendance déjà engagée de délocalisation vers l'Asie. Ce forcing fiscal nous oblige à devenir à notre tour inventifs. Notre ministre cantonal des finances semble avoir trouvé une bonne solution en proposant un taux d'imposition unique d'environ 13 % pour toutes les entreprises.

 

Apple, un premier cas d'école ?

Si la société à la pomme est dans le collimateur de l'IRS aux Etats Unis, elle n'est de loin pas la seule à avoir trouvé le moyen de ne payer que le minimum d'impôt sans pour autant se trouver dans une situation illégale. Les chantres du libéralisme découvrent à leur dépens les limites d'une concurrence sans limite. La solution devra être globale, comme dans presque tous les domaines à l'heure actuelle. Le monde est devenu un village.

Une première piste se dessine en Europe avec la convention fiscale de l'OCDE que Berne s'apprête à ratifier. Notre ministre en charge de l'économie à souligné son intérêt pour les BEPS (base erosion and profit shifting). Un projet qui devrait permettre de limiter la marge de manoeuvre des multinationales dans le domaine de la fiscalité des entreprises. Toutefois, ces standards devraient s'appliquer universellement pour être vraiment efficaces.

 

Genève et les multinationales, du win-win ?

La Genève internationale se compose en gros de trois grandes catégories :

- Le secteur public international qui regroupe les organisations internationales, les missions permanentes et les consulats;

- Les organisations internationales non gouvernementales (ONG);

- Les multinationales.

Bien que ces secteurs ne soient pas interdépendants, la présence de ces divers acteurs publics et privés crée des synergies qui rendent notre canton très attractif. La Confédération est consciente de ce capital unique qui contribue largement à la définition même du rôle de la Suisse et à la justification de notre neutralité souvent contestée. Ainsi devrait-il être possible d'obtenir les indispensables subventions fédérales pour rénover le Palais des Nations. Mais ce ne sera pas suffisant.

 

La Suisse isolée, quel remède ?

Les pressions s'accroissent de toutes parts et la Suisse est bien seule avec sa croissance insolente. Des voix se font à nouveau entendre pour dénoncer la fragilité de nos accords bilatéraux et les milieux économiques semblent penser que notre salut viendrait d'une adhésion à l'Europe. Le peuple n'en veut pas et il commence à se fâcher devant la lâcheté de nos ministres.

Les discussions actuelles du parlement pour implémenter une loi qui permettrait à un Etat de poursuivre nos banques et leurs clients fait rage et il y a fort à parier que nous plierons. La grogne populaire prendra de l'ampleur et la sanction tombera dans les urnes.

Il est indispensable et urgent de rétablir une sécurité juridique dans notre pays et donc de clarifier nos relations avec les autres nations. Sans s'autoflageller ni se victimiser.

Nous devrions être un peu plus exigeants en matière de transparence pour accepter des sièges de multinationales controversées sur notre territoire et favoriser celles qui développent des activités philanthropiques, à l'instar de Google qui dirige un vaste projet de sauvegarde des langues en voie de disparition ou Canonical qui a créé et distribué gratuitement le système d'exploitation Ubuntu. Certes, ces actions nobles servent aussi à redresser l'image de sociétés encore peu transparentes, nous ne sommes pas dupes. Pourtant, c'est avec ces petits ruisseaux que nous ferons de grandes rivières. En attendant une harmonisation fiscale universelle.

Mais il ne faut pas cracher dans la soupe. Le jugement de Mme Salerno sur la responsabilité du Conseil d'Etat dans sa politique d'attractivité de ces sociétés si volatiles est dangereux. Il est bien sûr important de garder un tissu économique diversifié, mais on ne peut pas faire la fine bouche sur ce potentiel d'emplois et de revenus pour le canton qui est le plus touché par le chômage en Suisse.

On l'aura compris. Plus aucune décision ne peut se prendre au niveau local. Tout est lié. L'effet papillon est de plus en plus perceptible et évident. Pour le moment, nous persistons dans la fuite en avant d'un monde compétitif en guerre permanente. Nous devrons tôt ou tard changer de modèle et envisager plus de coopération. A défaut, nous risquons de vivre des moments très douloureux.

7 juin 2013